20 – Topographie du Petit Socco
Slaïki, Tanger, 2021
202 pages couleur, 150 dh, 15 euros
15×10 cm
ISBN :978-9920-661-48-5
Dépôt légal : 2021MO5298
extrait
En décidant de réaliser 19 – Topographie d’un terrain vague, je ne savais pas que ce choix m’amènerait à m’engager, un an plus tard, dans un acte de témoignage. L’idée de la série des trois ouvrages topographiques m’est venue en 2018 à Taroudannt : cette idée m’a séduit alors que je me laissais subjuguer par l’étrange beauté hyper-urbaine et graphique, bauhaussienne en diable, du modeste terrain vague au bord duquel je passe mes hivers, dans l’ancienne capitale saadienne. Je m’interrogeais alors, afin de savoir si je pouvais envisager d’effectuer d’autres investigations photographiques sur un espace défini et clos, qui exciterait ma curiosité intellectuelle et dont il me plairait de tirer le portrait. À Tanger, le Petit Socco m’est venu à l’esprit avec une évidence imparable ; en France, j’ai eu envie de célébrer la beauté si décriée de la Vallée de la Romanche, qui conduit de Grenoble au village de mon enfance, Le Bourg d’Oisans. Ainsi ont germé dans ma tête 20 – Topographie du Petit Socco et, à venir, 21 – Topographie d’une vallée désindustrialisée. Quand j’ai enfin eu décidé de tout cela, et que ces projets me sont apparus suffisamment forts et cohérents pour voir le jour, je ne savais pas que le Petit Socco allait être restauré de fond en comble, littéralement refondé. J’ai commencé à le photographier à l’automne 2019, puis j’ai réalisé la plus grande partie des images au printemps 2020 et au début de l’automne de la même année, quand, soudainement, des bulldozers ont envahi les lieux et ont labouré la placette du centre de la médina, comme d’ailleurs tout le reste de la vieille ville de Tanger. Les pavés de ciment autobloquants encore neufs, installés lors de la précédente opération de restauration, allaient être remplacés par d’élégants petits blocs de granit clair, extraits de mines portugaises ; les façades seraient repeintes et les enseignes dépoussiérées ; les vieux rideaux en métal qui fermaient les boutiques seraient remplacés par un déluge de luxueux huis en cèdre flambant neufs, diffusant leur précieux parfum dans toute la médina ; l’ensemble des portes des maisons du Socco et des rues alentour seraient surmontées d’auvents menuisés dans la même essence, dessinant des arcades on ne peut plus orientalisantes à travers toutes les perspectives de la vieille ville… Bref, sous l’impulsion des programmes parachevant la Renaissance si médiatisée de Tanger, et la reconfiguration de la cité à l’ère du flambant et du sursignifiant, s’est dévoilé un colossal malentendu, assez ennuyeux pour cette cité dont la médina, espace urbain hyper sensible et fragile, a vu au cours de cette période-là profondément changer son style et ses ambiances : son identité, tout simplement. Les projets de la refondation de Tanger, qu’ils soient couronnés de succès ou d’un goût plus douteux, affichent gaillardement une identité moderne, qui se veut high-tech et d’une tonalité orientale – on pourrait parler de dubaïsation de la cité – quand la capitale septentrionale du Maroc a longtemps été aimée pour son caractère si désuet, agreste presque, et étrangement britannico-hispano-italo-mauresque… Jusqu’à récemment, venir à Tanger répondait aux aspirations à vivre dans une grande ville ayant su garder des airs de campagne ! La grande ville est devenue une mégapole, perdant au passage tous ses charmes pastoraux : une partie de son âme a été coulée dans le béton des grands projets. Les restaurations de la Kasbah et de la médina, et particulièrement celle du Petit Socco, sont au cœur de cette mutation et des problématiques qu’elle soulève. Si la refondation haussmannienne de la ville nouvelle et de ses banlieues est édifiante en termes de réflexion sur l’urbanisme, si la réhabilitation des remparts s’avère exemplaire, si on peut qualifier de réussie la reconfiguration des différentes rades du port, l’embellissement du Petit Socco a d’une certaine façon dénaturé le quartier. Ainsi, si j’ai effectué quelques dernières images d’intérieurs, notamment de pensions, une fois que les travaux avaient débuté, la plupart des photographies du présent ouvrage ont été prises jusqu’au jour de l’arrivée des premiers ouvriers, pioches à la main, sur la placette. Ces images sont donc le dernier document des dernières heures du Petit Socco, avant qu’il ne soit transformé en espace touristique et de loisir de masse, pour croisiéristes pressés et consommateurs d’images prédigérées. Ce petit livre est donc historique – et, cela, bien malgré moi, que mon lecteur en soit assuré, car s’il avait été en mon pouvoir de modérer de telles métamorphoses, indiscutablement je l’aurais fait. Comme l’avait si bien filmé André Téchiné, d’ailleurs à Tanger même, ce sont bien là Les temps qui changent : le cinéaste, en grand artiste qu’il est – bien que j’estime très peu l’homme, que j’ai intimement fréquenté à la fin des années 1990 -, avait donc bien senti où allait notre monde…
résumé
« En décidant de réaliser 19 – Topographie d’un terrain vague, je ne savais pas que ce choix m’amènerait à m’engager, un an plus tard, dans un acte de témoignage. L’idée de la série des trois ouvrages topographiques m’est venue en 2018 à Taroudannt : cette idée m’a séduit alors que je me laissais subjuguer par l’étrange beauté hyper-urbaine et graphique, bauhaussienne en diable, du modeste terrain vague au bord duquel je passe mes hivers, dans l’ancienne capitale saadienne. Je m’interrogeais alors, afin de savoir si je pouvais envisager d’effectuer d’autres investigations photographiques sur un espace défini et clos, qui exciterait ma curiosité intellectuelle et dont il me plairait de tirer le portrait. À Tanger, le Petit Socco m’est venu à l’esprit avec une évidence imparable ; en France, j’ai eu envie de célébrer la beauté si décriée de la Vallée de la Romanche, qui conduit de Grenoble au village de mon enfance, Le Bourg d’Oisans. Ainsi ont germé dans ma tête 20 – Topographie du Petit Socco et, à venir, 21 – Topographie d’une vallée désindustrialisée », précise Philippe Guiguet Bologne dès les premières pages de ce petit livre, pourtant bien épais ! Après avoir publié trois chroniques photographiques initialement destinées aux réseaux sociaux, notre non-photographe revendiqué entame ici le deuxième volet, sur trois, d’une aventure d’écriture du territoire. Car la topographie, une écriture de l’espace à travers le média de l’écriture de la lumière, est avant tout pour l’auteur un souci de textualité : qu’est-ce que raconter – ce qui n’est pas de ses préoccupations premières, disons-le -, mais surtout qu’est-ce que traduire le monde, son monde, ses préoccupations et, toujours, en représenter sa perception, comme il le fait dans sa poésie…
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Des copies de 20 – Topographie du Petit Socco sont disponibles aux librairies des Colonnes et les Insolites, ainsi qu’à la Galerie Conil à Tanger, à Las Chicas et à la boutique Ittû au Petit Socco.