Réflexions à partir de l’œuvre occupée de Hani Amra
(Collapse – Collages, débris & écrits)
Scribest, Hoenheim, 2022
144 pages, 16 Euros, 160 dh
13,5×19 cm
Dépôt légal : juillet 2022
ISBN 979-10-92758-23-8
extrait
« Cette divagation, qui a pris l’œuvre de Hani Amra comme fil rouge, comme prétexte aussi, œuvre qui dans ce texte a dû, parfois, être aussi violentée que profanée – mais l’artiste acceptera mes excuses, j’en suis certain -, touche à sa fin. Nous savons tous, désormais, que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Mais savons-nous réellement qui sont les vainqueurs quand la bataille se poursuit ? Les gouvernants, de plus en plus éloignés de leurs peuples, mènent des politiques en défendant des intérêts qui sont de moins en moins ceux de leurs administrés. La fracture entre les pouvoirs et les sociétés qu’ils dirigent étant de plus en plus grande, on se posera la question de savoir ce que peut être la notion de démocratie – que l’on tente d’imposer au monde à coups de bombardements, comme en Irak, ou de coups d’États, comme au Soudan et en Égypte – quand des gouvernements de démocraties soutiennent une politique coloniale et d’apartheid – un ethnocide, ou une guerre de basse intensité, dit-on poliment, derrière les épais rideaux des chancelleries – d’un État supposé ami, sans que leurs peuples les cautionnent ? La notion de victoire reste sur la sellette, et donc tout autant celle de savoir comment sera écrite l’histoire. Quand bien même les vaincus, ou les plus faibles, ou les atypiques, ou ceux qui dérangent… seraient éradiqués, ce qui demeure bien heureusement encore impossible, il y aura toujours des historiens pour aller interroger là où la mémoire fait mal : un État bâti sur un crime, comme le sont les États-Unis ou l’Europe coloniale, parviendra toujours au fatidique moment de devoir payer une dette morale. Les victorieux sont seuls ceux qui s’en sortent la tête haute. Je fais preuve de naïveté, et probablement même de bêtise, en osant avancer de tels arguments : mais si j’avais tort au point qu’on voudrait me le faire croire, pourquoi les pires dictatures, les plus mortifères d’entre les despotismes, ont-ils toujours cherché à mettre des formes pour commettre leurs crimes et leurs exactions ? Aucune entité fondée sur l’immoralité – pire : sur l’amoralité – ne saurait perdurer. Qu’il s’agisse d’individus ou de communautés, nous avons toujours des comptes à rendre, ne serait-ce qu’à notre conscience. J’écris ma part de contre-mémoire, là où je crois que j’apporte ma pierre à l’édifice d’une humanité meilleure. Même si mon acte n’a aujourd’hui que peu de résonnance et un infime impact sur mon monde, je le fais car là est mon devoir d’homme. Quoiqu’en disent toute l’insolence et toute l’impudence, l’hubris encore et toujours, de la caste supposée tenir le bon bout du bâton, l’engagement pour un monde plus juste a un sens qui demeurera, probablement, la seule et unique dimension d’une existence humaine… qui saura faire sens. »
résumé
Dans un texte d’une étonnante densité, entre l’essai ontologique sur l’art du collage et un long poème tout en dérives et résonances, Philippe Guiguet Bologne nous amène à nous questionner autour de l’œuvre du Jérusalémite Hani Amra, mais aussi sur le colonialisme, sur l’occupation et sur la résilience, sur le sens de l’engagement et celui de la morale, sur l’Unité, la dualité et la multiplicité, sur la cohérence et la pertinence – deux traits qui restent particulièrement chers à l’auteur… Il interroge cette œuvre, qu’il tente de cerner à touches de rencontres édifiantes avec Stéphane Hessel, d’une étrange aventure avec Ernest Pignon-Ernest, en suivant l’ombre et les poèmes de Mahmoud Darwish, les généalogies des Nashashibi et des Joudeh, en parcourant les paysages striés de la Cisjordanie, les lignes de crêtes qui relient Jérusalem, en frôlant fébrilement les colonies qui couronnent avec arrogance les collines de la Judée archipélisée. Avec un parti pris évident et radical qui ne doit en rien marquer sa réelle judéophilie, il dresse le portrait tout en bris, en débris et en morcellements, d’une Terre sainte brisée, d’une société en miettes et d’une morale en lambeaux : un collage défait, qu’il nous nous invite à recomposer. En évoquant la déliquescence soulevée par l’œuvre de Hani Amra, et les effets de miroir qu’il y a puisés, il nous convie à tenter de retrouver un fil de l’éthique.
Note de l’éditeur
Éditeur indépendant engagé, il m’a semblé important de publier ce texte de Philippe Guiguet Bologne après son ‘Jerusalem Hotel’, la quête d’un poète en Palestine occupée (2016) et Ce qui nous restera (2018).
Comment ne pas succomber au charme empreint de nostalgie de ce Collapse : récit sans concession qui nous entraîne, dans un poignant souffle épique à partir des réminiscences de jeunesse, sur les traces des rencontres et échanges fructueux avec Stéphane Hessel, Ernest Pignon-Ernest, puis surtout celle de l’énigmatique artiste palestinien Hani Amra dont il dissèque avec une grande maîtrise le cheminement.
Armand Caspar, Scribest.
se procurer le livre
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